Amritapuri, Inde đźđł
Il est 8h45 et jâai juste terminĂ© mon sĂ©va du matin. Jâai fait du zeste de citron, puis du jus⊠ensuite jâai coupĂ© des oignons et des carottes. Chaque matin je me trouve ainsi en face de Donald pour faire mon sĂ©va. Donald a 79 ans et vit ici depuis 19 ans dĂ©jĂ . Il avait mon Ăąge quand il est arrivĂ© ici. Il est originaire des Etats Unis et ne parle que lâanglais. En Malayam, le dialecte dâici, il ne connait quâun mot, il mâa confiĂ© tout Ă lâheure⊠soeur. đșđž
Il est petit, courbĂ©, blond avec le crĂąne bien dĂ©garni. Un « look » nonchalant et il prend soin de lui de maniĂšre approximative tout Ă fait adaptĂ© Ă lâendroit oĂč il vit. Comme tous, il est habillĂ© dans du blanc, ou presque. Un regard doux, des yeux gentil et une barbe hirsute⊠Ce sont ces yeux que jâai vu en premier. Si ce sont les fenĂȘtres de lâĂąme, alors quelle Ăąme douce et gentil il doit avoir ! đ
Ce que jâaime en lui et ce que je considĂšre comme des qualitĂ©s Ă atteindre câest, entre autres, son Ă©tat de « non-rĂ©sistance ». Jâai lâimpression que pour cet homme tout est ok. Il a une vie simple, dans un endroit simple, avec des occupations simples. Pas de tĂ©lĂ©, pas de journal, pas vraiment dâamis non plus. Il ne cherche rien, ne demande rien et partage son temps entre les sĂ©vas et la lecture, son passe-temps favori. Avec une toute petite retraite il arrive tout juste Ă payer sa chambre ici. Et il est heureux⊠en tout cas, il me semble. đ¶ââïž
Il ne parle pas beaucoup tout en Ă©tant communicatif. Il pose des questions et aime plaisanter respectueusement. Il est juste une de ces prĂ©sences joyeuses indispensables dans une groupe⊠câest la deuxiĂšme qualitĂ© que je reconnais en lui. Il se fond dans la masse, discrĂštement. Il est modeste, peut-ĂȘtre mĂȘme se sous-estime-t-il. Je suis persuadĂ© que mĂȘme aprĂšs 19 ans ici, peu de gens le connaissent. A mon avis, ils passent Ă cĂŽtĂ© dâun maĂźtre sans sâen rendre compte. đ
Quoi quâil en soit, quand je suis face Ă lui je me sens bien. Il dĂ©gage de la lĂ©gĂšretĂ© et de la bienveillance. Il sâadapte, sâaccommode, rempli habilement les vides comme le partenaire parfait et complĂ©mentaire, puis il participe ainsi tel un colibri respectant son rythme et sa vitesse. Et finalement, quand nous faisons Ă©quipe ensemble le matin, Ă deux ou plus nombreux encore, nous allons Ă©tonnamment vite. Merci dâĂȘtre lĂ Donald, je te vois. đđŒ
LĂ , pour Ă©crire, je me suis installĂ© Ă nouveau sur le balcon qui fait partiellement le tour du 13Ăšme Ă©tage. Cette fois-ci je me suis assis vers lâest. Des palmiers Ă perte de vue, bordĂ© par une fleuve Ă gauche et lâocĂ©an Ă droit. Faut pas oublier que câest le jungle ici et que de voir un animal sauvage ne serait pas vraiment Ă©tonnant. Au 13Ăšme je ne risque rien, ils nâatteindront jamais le bouton pour appeler lâascenseur. đŠ
Amritapuri est un vrai village qui abrite ou peut abriter, Ă ce que jâai entendu, autour de 5000 personnes. Il y de tout⊠une imprimerie, des boutiques de vĂȘtements, un bar Ă jus, un snack Indien et un autre pour les snacks Occidentaux, des boutiques de souvenirs « Amma », une banque, une pharmacie AyurvĂ©dique, une piscine, un temple, une piĂšce pour faire de lâinternet, un centre de recyclage ultra dĂ©taillé⊠il y a mĂȘme de la police spĂ©cialement pour lâAshram⊠et jâen oublie ! đ
Les bĂątiments ont Ă©tĂ© posĂ© un peu, je dirais⊠nâimporte comment. LâesthĂ©tique occidental nâa pas trop Ă©tĂ© pris en compte. Quelques petits bĂątiments, puis surtout des immeubles immenses et quelques espaces communes couvertes⊠tous reliĂ©s par un labyrinthe de chemins de terre battu. Par-ci, par-lĂ des cultures de plantes ou de fleurs en pots. Des gens habillĂ©s en blanc ou justement avec des tissus plein de couleurs qui traversent de part et dâautres un peu comme dans les villes des anciens westerns. Ca a son charme⊠Par rapport Ă ce que je connais de lâInde, ici câest trĂšs trĂšs propre ! đ
Tout le travail est gĂ©rĂ© par le bureau des SĂ©vas qui organise lâensemble des bĂ©nĂ©voles. Tout est fait par des bĂ©nĂ©voles ici. La plus grande occupation est sĂ»rement la gestion de la nourriture. Lâachat, la prĂ©paration, la distribution, le nettoyage et le recyclage. Trois repas Indiens sont servis gratuitement par jour. Ceux qui veulent peuvent acheter dâavantage des snacks Indien ou manger des produits occidentaux. Il y a mĂȘme des pizzas. Pas de pepperoni, non non ! đ
Panchi vient dâici, du centre du pays, il me semble et il est le chef de lâĂ©quipe qui ramasse les poubelles et les seaux avec les bouses des vaches pour tout amener au centre de recyclage. Eh oui, il y a mĂȘme des vaches dans lâAshram. Câest pour le lait. Des vraies machine Ă transformer lâherbe en bouse et en produits laitier. Chaque matin une dizaine de seaux pleins attendent lâĂ©quipe de ramassage. Panchi conduit la camionnette, range les poubelles au dessus et nâarrĂȘte jamais. Il est rapide et efficace, un peu comme moi quand jâĂ©tais plus jeune. Il a 40 ans avec lâallure noble dâun samouraĂŻ. đĄ
Je lâobservais de loin pendant les trois jours que je faisais parti de lâĂ©quipe. De loin, car je le trouvais difficile Ă aborder. Peut-ĂȘtre parce quâil ne parlait pas. Il chuchotait et jâen dĂ©duisais quâil avait un problĂšme avec sa voix. Je le voyais travailler comme un boeuf, Ă faire des choses le plus dĂ©gueulasse pieds nus, sans gants, sans relĂąche et avec une Ă©nergie dont la source ne se tarissait jamais. đ
Câest seulement hier que jâai pu le rencontrer un peu. CâĂ©tait grĂące Ă Joe, encore un de ces hommes qui mĂ©rite dâĂȘtre nommĂ©. Un Irlandais avec un moral dâacier, toujours le sourire aux lĂšvres et un refrain Ă la bouche. Il est dans lâĂ©quipe de Panchi et sâĂ©tait fait mal aux mollets hier. Je me suis installĂ© Ă cĂŽtĂ© de lui sur les bancs rouge pour boire mon chai et Ă©changer un peu avec lui. Grace Ă ses mollets, je savais mieux oĂč jâen Ă©tais dans mon propre histoire. âïž
Quand Panchi est venu se joindre Ă nous, jâai osĂ© enfin mâapprocher de lui et demander ce qui lui Ă©tait arrivĂ© au niveau de sa voix. Il me fallait de lâaudace, car il mâimpressionne⊠son regard perçant mâimpressionne⊠son attitude dâhomme puissant mâimpressionne. En fait, jâĂ©tais agrĂ©ablement surpris Ă quel point il Ă©tait facile dâentre en contact avec lui et le faire parler, disons chuchoter. Et il mâa touchĂ© le coeur, cet homme magnifique. đ
En fait, il nâa aucun problĂšme avec sa voix. Il a juste choisi de ne plus parler. Il mâexpliquait quâil trouvait quâil y avait dĂ©jĂ trop de paroles, trop de bruit verbal et quâil avait choisi de calmer son propre flot mental en se calmant au niveau de son expression. Sa maniĂšre sincĂšre et intĂšgre de sâexprimer, sans honte ni orgueil, mâavait touchĂ© jusquâaux larmes. Je sentais lâappel qui me pendait au nez. Je risque de suivre sa voie⊠ou sa voix. Jâattendrais peut-ĂȘtre juste le bon moment⊠đ
Juste par curiositĂ© je lui ai demandĂ© comment il ferait si une groupe de personnes lui demandait de racontait son histoire. Sa rĂ©ponse Ă©tait simple⊠en chuchotant ! Sans micro⊠Il mâa dit que le fait de chuchoter lui demandait davantage dâeffort et que cela lâaidait Ă discerner ce qui valait la peine dâĂȘtre dit. Ca mâa plu. đ
Puis, il me chuchotait un petit bout de son histoire. Quâil Ă©tait lĂ , Ă lâAshram depuis environ 7 ans⊠Quâil a eu une fois en publique une considĂ©ration particuliĂšre dâAmma pendant quâil recevait son Darshan. Quâelle lui a essuyĂ© le visage en mentionnant Ă quel point il Ă©tait un exemple pour les autres. Mais surtout, il me partageait son feu intĂ©rieur. DĂ©barrasser le monde du plastique, remettre la terre en Ă©tait. Se battre pour cela, donner tout pour cela⊠Je voyais le chevalier, le guerrier au service de la lumiĂšre. đ
Je ne peux pas tout raconter. CâĂ©tait un moment unique et trĂšs fort. Ce que jâai retenu surtout est cette puissance mise au service pour un idĂ©al au-delĂ de sa « petite » personne. Tout donner pour atteindre son rĂȘve⊠Physiquement, Ă©motionnellement, spirituellement. Pour un rĂȘve qui est bien plus grand que lui. Merci Panchi đđŒ
VoilĂ , il est presque 10h. Je vais changer un peu dâargent, prendre une douche puis mĂ©diter sur mon lit Ă©coutant quelques mantras. Il nây a pas de soleil aujourdâhui et je ne pense pas que jâirais Ă la piscine. Jâutiliserais ce temps peut-ĂȘtre pour mâassoir un peu au bord de lâocĂ©an. Ensuite peut-ĂȘtre un peu de SĂ©va et prĂ©parer des enveloppes de pub pour Amma, puis le Chai de 16h sur les bancs rouges et vers 17h je me connecterai Ă Internet pour mettre mon article⊠Puis ce sera dĂ©jĂ lâheure des Bahjans. Je me suis levĂ© Ă 4h aujourdâhui⊠Je pense que je vais me coucher tĂŽt ce soir. đ
Hier Amma est venu chanter avec nous. Jâai compris quâelle vient quand elle en a envie. Ce samedi et dimanche elle donnera le Darshan ici⊠Tout le monde va passer dans ses bras, sauf ceux qui habitent ici. Ils ont eu chacun une audience privĂ©. Il parait quâelle a dĂ©jĂ Ă©treint plus de 32 million de gens. Je me trouve chanceux car elle est lĂ pendant la plus grande partie de mon sĂ©jour. MĂȘme si elle ne se ballade pas, je sens sa prĂ©sence. đ©âđ§âđ§
Douce soirĂ©e Ă tous â€ïžđđđđ
PS : Quand j’ai voulu m’installer au bord de l’ocĂ©an, ce n’Ă©tait pas possible. Les vagues Ă©taient trop fortes et le centre de recyclage en a subi les consĂ©quences. Et qui pensez vous Ă©tait lĂ pour remĂ©dier au problĂšme ??? Eh oui, Panchi !!! đ
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Ouaouh que de maitres chez Amma’n
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Oui, des maitres carrĂ©s, cubes, dia, baro, thermo… đ
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Belle synchronicité que ton histoire avec Panchi.
Le midi je mange Ă la cantine du boulot, entourĂ© de centaines d’ingĂ©nieurs.
J’ai pris l’habitude de manger Ă une table oĂč je ne connais personne.
J’Ă©vite de me joindre Ă mes collĂšgues de bureau pour ne pas subir les discussions de remplissage.
Ce midi je m’Ă©tais mis Ă cĂŽtĂ© de 3 femmes dont une n’arrĂȘtait pas de parler.
Les 2 autres la regardaient, captivées, comme si elles regardaient la télé.
Ă un moment donnĂ© je me suis imaginĂ© lui jeter un sort pour lui enlever sa voix en lui disant « tu gaspilles le verbe en paroles futiles, tu seras muette pendant un mois pour apprendre Ă respecter ce don qui n’a Ă©tĂ© accordĂ© qu’aux humains. »
Dans mon infinie bontĂ©, je me suis abstenu đ
Je parlais d’ingĂ©nieurs en dĂ©but de message car j’ai toujours Ă©tĂ© frappĂ© de constater dans ce milieu d’un haut niveau intellectuel, l’absence totale de maĂźtrise Ă©motionnelle.
Une cantine d’ingĂ©nieurs est ainsi tout aussi bruyante qu’une cantine scolaire; c’est effrayant !
Dans ces moments lĂ , j’envie les moines capables de manger ensemble sans bruit.
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Merci pour ce beau rĂ©cit… ce tranche de vie… elle m’a bien fait sourire, puisque je n’arrĂȘtais pas de parler ce matin, pire qu’Ă l’Ă©cole. đđŒ
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Merci pour ce partage du coeur, Michaël
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Avec joie, Eric… đ
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Merci pour ton passionnant rĂ©cit, en le lisant, j’avais presque l’impression d’y ĂȘtre đ
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Avec plaisir Patricia… content que ça t’a plu… đ
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merci pour ce beau partage !!! ça fait des annĂ©es que parler me porte peine et lĂ tu me montres que c’est pas totalement idiot !!! je suis enseignante en primaire et parler constamment m’est de plus en plus pĂ©nible et me fatigue, trop de bruit, trop de discours me fatiguent…. et je me suis rendue compte de ce que les enfants sont aussi souvent fatiguĂ©s par un brouhaba constant et souvent dans ma classe on s’est accordĂ© un petit temps pour Ă©couter le silence et ils ont aimĂ©…ainsi j’ai le besoin crucial de manger seule et en silence…je suis incapable de manger en compagnie car j’ai besoin de me concentrer sur ma nourriture, c’est pour moi un moment sacrĂ© !!! on devrait tous manger ( quand on mange !!) en silence !!!
les gens , pour moi , parlent trop , et ainsi s’Ă©loignent de leur essence, sont toujours Ă l’extĂšrieur !!! et le pire c’est quand ils m’obligent moi aussi Ă parler et croient que je fais la tĂȘte quand je ne parle pas…ils ne comprennent pas que j’ai besoin de juste ĂȘtre prĂ©sente et regarder….j’ai cette aspiration depuis mes 10 ans mais je ne me la suis jamais autorisĂ©e car c’Ă©tait mal perçu alors merci michael car je sais qu’un jour je pourrai aller dans ce silence , dĂšs que mes enfants n’auront plus besoin de moi !!! c’est si reposant, si revigorant !!! lĂ dans ce silence observateur je me sens apaisĂ©e, sereine et je peux me laisser aller !!! pas mĂȘme de musique, juste le silence de la respiration …alors je me sens dans un Ă©tat de mĂ©ditation permanent oĂč plus aucun effort n’est nĂ©cessaire !!!
merci mon petit miroir !!!
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Alors, raison de plus pour moi de recommencer demain đ
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a toi de voir c’est tres personnel comme experience et je pense que chacun le vit Ă sa façon
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Tout Ă fait…
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