Mon baptême

Le Chesnay-Rocquencourt (78), France 🇫🇷 

Si je raconte l’histoire suivante à quelqu’un de religion judaïque, il y a de fortes chances que je me retrouve face à un mur. Je pense aussi que je n’ai pris ce risque qu’une ou deux fois dans ma vie, et seulement avec des amis dont je connaissais l’ouverture d’esprit. Pour un Juif bien ancré dans sa religion, ce que j’ai fait est incompréhensible. Au moment où j’écris, je vois défiler de nombreux scénarios où j’ai vu les réactions de mes frères et sœurs juifs et entendu des raisonnements hermétiques vis-à-vis de toute autre religion, mais surtout du christianisme. Il ne s’agit pas de la difficulté d’accepter une autre personne avec une autre religion. Non, il s’agit de cette loyauté conditionnée et enracinée qu’un Juif doit avoir concernant sa judéité. ✡️

Certes, tous les juifs ne sont pas aussi hermétiques. Je généralise, bien sûr. Il y a tellement de courants différents du judaïsme avec des valeurs différentes. Cependant, même un juif libéral peut facilement sortir de ses gonds lorsqu’un autre juif remet en question sa foi et envisage de la remplacer par une autre. Je l’ai tellement vu dans le lycée/collège juif où j’étais, puis dans les familles et les amis de la communauté juive d’Amsterdam. L’intransigeance parentale des juifs orthodoxes est carrément devenue la source de nombreux films et drames. Pour moi, cette différence que nous faisons nous-mêmes entre les juifs et les autres est de mon point de vue la plus grande source d’antisémitisme. A force de se sentir élu et supérieur et de le montrer ici et là, il me semble logique que les gens finissent par avoir de fortes rancunes. 😳  

C’était en décembre 1995. Je venais de terminer ma troisième année de cuisine aux Courmettes, à l’époque l’un des plus grands centres d’accueil de France. Mon travail là-haut était terminé. J’avais appris à mes dépens comment baisser mes standards. Pendant près de trois ans, j’ai travaillé 14 heures par jour et je n’ai pas pu profiter des week-ends, des soirées et des vacances… car c’étaient les moments où il y avait le plus de monde. J’allais lentement de mal en pis et je devais faire quelque chose. J’ai fini par faire face à la peur de voir la cuisine peu à peu se salir, la qualité de mes plats diminuer et de ne pas être prêt à temps pour les repas. J’ai osé passer du coup de 14h à 9h de travail ! Le processus a été assez magique et mon succès s’est traduit par un départ en douceur. Une fois la leçon apprise, je n’avais plus rien à faire là-haut. 🏆

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C’était un moment important pour moi. J’étais encore en quête de mon identité et je voulais marquer ce passage de ma vie. Grâce à ma compagne de l’époque, Patricia, j’avais fait la connaissance d’un petit monastère de femmes à Egalières dans les Alpilles. C’était un endroit modeste et simple et en fait rien de plus qu’une ancienne bergerie. Le prêtre était d’origine hollandaise et la mère supérieure juive. Ce clin d’œil m’avait déjà encouragé par le passé à faire plusieurs retraites avec eux. J’avais accumulé mes congés et j’ai pu quitter les Courmettes à la mi-décembre. Quoi de mieux que de faire une retraite avec les Sœurs de l’Épiphanie pour marquer ce passage important de ma vie ? 🛖

C’était décidé… Une semaine complète, sans montre, sans ordinateur (oui, oui, déjà !) et sans aucune distraction. J’allais rester seul dans un ermitage à quelques kilomètres du Monastère, avec pour seule compagnie la Bible que ma compagne m’a prêtée. J’avais apporté une nourriture saine et simple, suffisante pour tout le séjour… des légumes pour faire de la soupe, des fruits secs et des oléagineux. L’ermitage était petit, rectangulaire et en bois avec un toit en paille et se trouvait quelque part dans une forêt. Au loin, j’apercevais à peine une ferme. Pour avoir de l’eau, il fallait la pomper manuellement à partir d’une source, juste en dessous… et pour avoir chaud, il fallait couper du bois pour le poêle. C’était vraiment spartiate et exactement ce que je cherchais. Une semaine pour un face à face avec mes profondeurs. 🪵

Sans repères, mon corps cherchait ses propres rythmes. J’ai beaucoup dormi pour me remettre de ce boulot de fou que j’avais laissé derrière moi et je me suis vite et spontanément adaptée au soleil… donc mes nuits étaient longues. Parfois je me promenais un peu dans les Alpilles et ayant ouvert la Bible au hasard je me suis vite plongé au temps de Jean Le Baptiste et les baptêmes qu’il pratiquait dans le Jourdain. J’imaginais passer devant la scène et demander ce qui se passait. Il était clair pour moi qu’en tant que Juif, j’aurais reconnu Jésus comme le messie tant attendu. Je me voyais rejoindre les gens dans l’eau pour me faire baptiser aussi. Ces scènes imaginaires ne me quittaient plus et j’y pensais jour et nuit… 💦

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Je pense que c’était le matin du 14, quand je me suis réveillé et que j’ai voulu pomper de l’eau pour boire avec mes cacahuètes. Dès que j’ai mis mes mains sur la manivelle, une douleur au dos m’a submergé. Je savais très bien ce qui m’arrivait… c’était un lumbago ! Entre ma lecture, la nourriture et l’envie d’eau, il m’a fallu peu de temps pour comprendre ce que mon corps tentait de me communiquer. Il était clair que mon profond désir n’était pas de boire et de manger des cacahuètes, mais de recevoir de la nourriture pour l’âme sous forme d’eau bénite sur mon front. Depuis que j’avais rencontré ma compagne Patricia, j’ai ressenti de plus en plus l’appel à faire quelque chose que mes ancêtres ne savaient pas ou ne pouvaient pas faire… reconnaître l’évidence et faire évoluer mon judaïsme vers le judéo-christianisme. ✡️✝️

Mon lumbago m’a demandé littéralement de me plier à la volonté de la Vie et de donner suite à mon besoin profond. Alors, à contrecœur et le corps courbé de douleur, je me dirigeai vers la maison du Père Pierre. Comme je ne le trouvais pas tout de suite, je n’ai pas hésité et me suis retourné, pensant pouvoir échapper à un appel aussi profond. Et, en effet, le lendemain la scène s’est répétée de la même manière. Alors, cette fois j’étais déterminé de le trouver. Ça faisait trop mal de résister. J’ai trouvé le prêtre presque immédiatement et il m’a rapidement invité à son bureau où j’ai pu exprimer mon expérience et ma demande. Même si je me suis toujours sentie bien accueillie dans ce monastère, c’était toujours étrange de m’y retrouver en tant que Juif. De plus, la notion de retraite spirituelle de cette manière n’existe pas dans ma religion d’origine. 😳

Après avoir patiemment écouté mes élucubrations, il a habilement cherché à se soustraire à ma demande… Je voulais qu’il me baptise… et cela pendant ma retraite. Il m’a d’abord demandé si j’étais prêt et il a essayé de me dire que ce n’était pas pour les Juifs. Rapidement, je lui ai cité la bible disant que pour être baptisé il fallait être circoncis… puis que j’étais plus que prêt, puisque je vivais secrètement l’appel depuis plusieurs années. Alors il continuait et me disait que ce n’était pas sa vocation… puis qu’il fallait d’abord demander la permission aux sœurs. Il m’a également suggéré de voir Jean-Yves Leloup à la place pour me faire baptiser. Soudain, il s’arrêtait et changeait de ton. Il m’a demandé si je savais d’où venait exactement le baptême… Alors, là, il m’a cloué le bec. 🙊

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Je n’avais pas compris auparavant que Jean Le Baptiste baptisait des gens dans le Jourdain simplement parce qu’il n’avait pas le droit d’utiliser le bain purificateur du temple ou des synagogues, le Mikwe. Le baptême est en quelque sorte un rite de passage purificateur. Une fois que le Père Pierre m’avait expliqué tout cela et m’a vu stupéfait, il m’a simplement demandé : « Si c’est si important pour toi, alors pourquoi ne pas te baptiser toi-même ??? « . Alors là, il m’a carrément scotché ! J’ai trouvé que c’était une idée géniale. De toute façon, je n’avais pas besoin de témoins ni de toute une cérémonie. C’était une histoire entre Dieu et moi… discrète, intime et personnelle. 💦

Riche de tout cela, je suis retournée à l’ermitage « Abraham ». Je me suis rendu compte que mon dos avait retrouvé sa souplesse et je me sentais en joie. En cherchant un peu dans la cabane, j’ai trouvé une ancienne bassine en zinc, certainement utilisée pour faire la lessive à la main. J’ai commencé déjà à chauffer l’eau dans plusieurs casseroles. Sur le poêle à bois ça allait durer plusieurs heures et j’avais décidé de faire mon rituel le lendemain… le jour de mes 39 ans. Je n’ai pas dormi de la nuit. Comme des gens qui vont mourir, j’ai vu toute ma vie défiler devant mes yeux. Mais pas n’importe comment… des noms, des adresses et des numéros de téléphone ! C’était clairement un passage où j’allais laisser définitivement quelque chose derrière moi. ☎️

Le lendemain, en me levant, comme il faisait très froid dehors, j’ai mis la bassine au centre de la pièce et j’y ai versé de l’eau chaude. J’ai vu que la bassine fuyait, alors je l’ai rapidement mise à l’extérieur. J’ai dû me dépêcher pour ne pas me geler. Je me suis rapidement déshabillé et, une cruche à la main, j’ai mis mes pieds dans la bassine. L’eau était bouillante et je me brûlais les pieds… alors je les alternais un peu dans un état de panique. Et là, je me suis dit : « C’est maintenant, vas-y ! ». Puis, tout en me versant de l’eau froide sur la tête, je m’entendais dire : « Au nom du père, du fils et du saint esprit… ». Et là, la magie ! Après environ 3 semaines de temps sec, il commençait lentement à pleuvoir. Je sentais que la Vie elle-même me baptisait et j’étais plein de gratitude. 🌧️ 

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Au loin, je voyais la ferme et j’imaginais les rires possibles de ceux qui m’avaient vu faire… comme ça… seul dans les bois… nu… tôt le matin… en plein hiver… avec mes gestes hilarants pour ne pas me brûler les pieds… Pourtant, je me sentais apaisée, riche et rempli. Je suis retourné dans le cabanon et je ne me souviens pas du reste de la journée. Dans les jours qui ont suivi, j’ai partagé mon expérience avec le Père Pierre et Sœur Dominique, celle qui était là pour moi au cas où j’aurais besoin d’aide pendant ma retraite. 🤣 

Au début de l’année suivante, au nouvel an orthodoxe, je suis allé jusqu’au bout de mon acte. Patricia et moi sont allé visiter le monastère Saint Michel, quelque part dans le Var. C’était Jean-Yves Leloup, un prêtre-conférencier et écrivain qui officiait. Quand c’était le moment d’aller chercher la hostie, j’ai osé me mettre dans la queue avec les autres. Quand Jean-Yves m’a vu, il m’a regardé d’un œil un peu interrogative. Il connaissait Patricia, car c’est lui qui l’avait baptisé… et il était possible qu’il savait qui j’étais et que j’étais juif. J’ai reçu l’hostie malgré tout ça et à partir de ce moment là, je n’ai plus refait cela… J’étais en paix et en harmonie avec ma foi. Quand plus tard lors d’une visite à Eygalières j’ai partagé cette dernière aventure avec quelques sœurs, elles ont rougie et exprimé délicatement et avec humeur leur contentement que je n’avais pas essayé de le faire chez elles… car elles n’auraient pas su quoi faire… 👩‍🦳

Aujourd’hui, je ne me définis pas vraiment comme juif, même si pour la loi j’en suis un et que je sens que mes racines terrestres sont là. Je me sens plus grand que ça, plus vaste. Pour moi, tous les êtres humains sont sans exception les élus du Vivant. Je me sens humain parmi les humains et élu parmi les élus. En même temps, je me sens être dans ce monde sans vraiment en faire partie. Je me sens UN avec tout ce qui est… visible et invisible… intemporel… indéfini… Je me sens être l’expérience palpable que le dieu que nous formons tous ensemble fait avec et pour lui-même… Pour moi, les religions ne  relient pas, elles divisent et n’ont aucun sens ou importance pour moi. Alors, comme le dit si bien Amma, pour moi aussi, le monde est ma maison, les gens sont ma famille et l’Amour est ma religion. 💜 

Je vous souhaite une délicieuse journée, soirée ou nuit… où que vous soyez… ∞❤️∞ 

 Un film de Noël que j’ai beaucoup aimé… Avec une des héroïnes de « Game of Thorens »… ❤️ 😉


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5 commentaires sur « Mon baptême »

  1. Salut Michaël,

    C’est un beau témoignage qui, pour le peu que je te connais, ne me surprend pas.
    Je crois en l’importance de la souveraineté spirituelle, en une relation directe, sans intermédiaire, entre mon dieu et moi. Je dis mon dieu et non pas Dieu, car je crois en la notion de daemon personnel (Agathodaemon / Saint Ange Gardien).
    J’arpente « la voie des sans maîtres », des serpents à tête de lion.
    Un lion n’a ni disciple, ni maître, il n’a que des frères.

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