Adieu Maman

Amritapuri, Inde 🇮🇳

Elle s’appelait Phoebe (Fibi) et elle est née le 28 décembre 1932 à Amsterdam, comme la plus grande partie de sa lignée paternelle. Son nom de famille était Rabbie et elle aimait bien raconter qu’ainsi tout ce qu’elle mangeait était sous le contrôle du Rabbin. C’était une petite fille heureuse dans une famille aisée ou même riche. Sa mère était une femme très dure mais son père était son roi, son dieu, un homme doux qui gagnait sa vie en tant que diamantaire. J’ai encore trois petite pierres qu’il a poli, il y a environ 100 ans. 💎

Je me souviens de quelques photos de ma mère d’avant la guerre. Insouciante et rieuse sur une belle voiture blanche décapotable, style Al Capone. Certainement celle de mon grand-père… Heureuse avec les joues toutes rouges sur les genoux de son père dans un parc… Dans une rue montrant sa trophée après avoir gagné un concours sportif. Elle a toujours gardé ce même visage un peu ronde où le sourire n’était jamais bien loin. 😏

La guerre a éclaté et elle a été déportée à Bergen-Belsen vers 1943. Un livre a été écrit par Hetty Verolme sur l’histoire des enfants là-bas. The children’s house of Belsen… On la retrouve facilement dans l’histoire grâce à son nom atypique. Elle semble avoir survécu pour une grande partie grâce à Hetty dont j’ai appris l’existence que vers 2005, il me semble. J’ai eu contact avec elle via Facebook et sa manière de me considérer me touchait profondément. 😌

Une grande partie de la famille de ma mère n’est pas revenu. Du patrimoine familial ne restait rien. Les bijoux, les maison au bord des canaux… Tout était perdu. Mais la chose la plus importante qu’elle avait perdu était son papa. Sa mère avait été dans les mines de sel en Norvège et y avait survécu, mais son père avait fini dans les chambres à gaz dans le même camp que ma mère en 1944. Après la guerre elle est revenue à Amsterdam telle une squelette ambulante avec du typhus, para-typhus et d’autres horreurs de ce genre. Sa survie semble avoir été un miracle. 😅

Il fallait reconstruire sa vie et à 13 ans elle se trouvait à l’école avec des enfants beaucoup plus jeune qu’elle dans une ambiance d’après guerre où il y avait peu de temps pour les sentiments. Il fallait avancer… Sa mère, toujours aussi dure, ne s’occupait pas d’elle. Elle cherchait un autre homme. Ma mère avait une vraie amie, Wil, qu’elle appelait « sa soeur d’immersion », car juste avant avoir été déporté, comme beaucoup de juifs, elle était cachée (immergée) chez une famille non-juive quelque part à Amsterdam. Wil m’a toujours considéré comme son deuxième fils et j’ai parfois encore contact avec son fils à elle, Friedus. 😌

Relativement jeune ma mère sortait régulièrement avec des amis au Pianobar, qui existe encore, dans le centre d’Amsterdam et a du voir ce beau jeune homme séduisant qu’était mon père. Les survivants ont un lien spécial entre eux. Très proche… Ayant tout perdu, ils avaient besoin les uns des autres pour se reconstruire. C’est pour cela que juste après la guerre beaucoup cherchaient à vivre dans des kibboutz. Alors, très vite mes parents décidaient de suivre le grand mouvement des juifs vers Israel. Ils y sont allés en 1952… mais, le scénario répétitif était déjà en marche. 😔

Les mères de mes parents. Grrrrr… Des femmes dures pour qui personne n’était assez bien pour leur progéniture. Pas question que ma mère aille en Israel sans être mariée !!! Ainsi ils ont été poussés au mariage… Et il se sont mariés, avec « le gant ». Un procédé spécialement mis en place pour des couples qui ne se trouvaient pas au même endroit. Chacun avait sur lui le gant de l’autre… Mon père s’est marié en Israel et ma mère à Amsterdam, aux bras de son oncle Thijs qui remplaçait mon père. Pour un thérapeute averti, l’histoire est truffé d’indications, l’une encore plus intéressante et croustillante que l’autre. 😉

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Je n’ai plus de photos du tout, mais en cherchant sur internet je suis tombé sur une partie d’une photo d’elle et de moi en Israël. J’avais 5 ans je pense. C’était ma photo préférée d’elle, de nous. Je pense que c’est là-bas qu’elle était la plus heureuse et qu’elle aurait aimé rester.

Quand j’ai vu le jour en 1956 à Jaffa, dans un hôpital qui n’existe plus aujourd’hui, nous vivions à Kyriat-Ono, très proche à l’est de Tel-Aviv. Mes parents étaient mariés depuis 4 ans et j’étais un enfant « ciment ». Ma mère m’a faite sur les conseils de sa mère pour garder son mari qui était volage. Belle homme il était et je pense qu’il a bien profité de la peur de ma mère de le perdre, lui aussi. Il était souvent malade et ne travaillait pas assez. C’est ma mère qui était manucure-pédicure, enseignait ce métier et ramenait les sous à la maison. ☺️

Je me souviens de l’avoir parfois accompagné étant petit. Les ruelles à Tel-Aviv… les marchands ambulants avec leurs petits chariots avec des oeufs durs graisseux dont le blanc était devenu marron grâce au feuilles de thé… J’ai pleins de petits souvenirs de mon enfance de ce genre de mon pays de naissance. Bref, ils ont du se disputer souvent… je me souviens seulement d’une seule fois, mais j’avais souvent des otites, surement pour ne pas entendre leurs querelles. 👳‍♀️

Les belles-mères s’alternaient chez le jeune couple. Leur présence a complètement étouffé le lien entre mes parents. Du chantage du coté de ma grand-mère maternelle a fait revenir ma mère à Amsterdam après le divorce. Elle avait pourtant déjà commencé à refaire sa vie en Israel. Mes parents se sont séparés en ’62 et nous sommes partis aussitôt. Ce départ était un choc terrible pour moi et malgré plusieurs efforts pour revenir au pays beaucoup plus tard, il y a toujours eu quelque chose qui m’en empêchait. 😔

Ma mère travaillait dur pour s’en sortir. Elle était vendeuse, la meilleure, partout où elle allait et peu importe ce qu’elle vendait. Elle était petite, 1 m 56, brune, les yeux marrons, un petit nez « juif » et elle était un peu rondelette, sans être grosse. Quand je l’accompagnais sporadiquement faire les courses sur le marché, j’avais souvent honte et marchais plusieurs mètres derrière elle. Comme pour faire comprendre que je n’étais pas le fils de cette dame, mais bien le fils de mon père qui lui était grand et blond, mais hélas, absent. 😉 

Les 6 premières années nous avons vécu chez sa mère et nous nous sommes retrouvés seuls ensemble dans un appartement dans le sud d’Amsterdam seulement quand j’avais 12 ans. Je la voyais peu. J’étais un enfant clé. J’avais les clés de la maison, me débrouillait, passais mon temps dans les rues et travaillais déjà à 13 ans tout en allant à l’école. J’étais seul, mais pas libre. Ma mère luttait simplement pour nous refaire une vie. Et moi, en tant que otage volontaire, j’obéissait même de loin à ses besoins, même non-exprimés. J’ai inventé le syndrome de Stockholm, j’ai aimé ma ravisseuse. Que personne me dise de mal d’elle. Je suis le seul qui a ce privilège. 👱🏻‍♀️

Trois hommes sont passés dans sa vie, une fois de retour à Amsterdam. Trois hommes pour qui elle n’était que la maitresse. En l’absence de son premier dieu, c’était moi son homme, son tout. Les deux premiers hommes m’ont acheté… ils savaient ce que j’aimais. Des frites et des krokettes, alors ils en emmenaient pour m’amadouer. Je ne les aimais pas. Ils puaient l’alcool et la cigarette et ne se rendaient pas compte de la valeur de ma mère. Le troisième était là jusqu’au bout. Il avait 17 ans de plus qu’elle, était marié certes, mais l’aimait vraiment. 💎

Juste pour l’anecdote, mes deux dernières compagnes avaient 17 ans de moins que moi… Bon, ça m’a couté un bras en thérapie, ou plutôt une jambe, pour me sortir de mon attachement Oedipien et de tout ce qui s’y attache… trouver comment me défaire de mes scénarios et comment me défaire des griffes de ma mère et m’envoler sans père. Et encore… ce n’est peut-être pas pour rien que je me retrouve chez Amma et que je parle à nouveau de ma mère… Parfois je dis, et je sais que c’est dur, que le plus beau cadeau qu’elle a pu me faire c’était de mourrir. Et pourtant, Dieu sait à quel point je l’aimais et combien je suis prêt à donner pour passer quelques instants avec elle. 😍

Bref, nous vivions ensemble aussi bien que possible. Elle était mon meilleur amie et notre amour réciproque était énorme et sans questionnement ni doute… mais j’ai peu de souvenirs de câlins, des temps de partage, des moments de qualité mère-fils, d’apprentissage. J’ai du tout apprendre dans la rue. Souvent j’étais très apprécié par les mères de mes amis. Je cherchais forcément un remplacement. Ma maitresse de l’école primaire, Carla, en est une bonne exemple. 👩‍👦

Nos moments clés étaient autour des repas du soir et de celui de dimanche midi. Elle savait exactement ce que j’aimais et je n’ai rien manqué sur ce plan. J’adorais nos dimanche midi où nous nous gâtions avec du pain de seigle grillé et tout ce qu’elle avait ramené la veille pour mettre dessus. Charcuterie, saumon fumé, salades à tartiner, fromages, miam… Dans mon élan pranique d’aujourd’hui des émotions de manque peuvent encore provenir de cette période. Quand nous étions ensemble, après les repas, souvent on regardait la télé en grignotant des trucs. Elle dans une petite chaise en rotin trop petite pour ces fesses et dans laquelle restait coincée quand elle se levait et moi allongé devant le chauffage. 📺

J’étais son tout… mais, elle n’était pas là. J’étais vraiment son tout… mais elle ne m’entendait pas. J’étais tellement son tout que quand je suis parti à l’académie militaire à 20 ans, elle en est morte. D’abord cancer des poumons, puis cancer généralisé. Elle avait 47 ans, moi 22 quand elle est partie. Il me faillait longtemps pour comprendre la phrase qu’elle ma dite sur son lit de mort : Je ne peux pas vivre sans toi ! 🤒

Aussi simple que cela a l’air, je ne l’avais pas comprise à l’époque et je lui avait répondu : mais maman, c’est moi qui va devoir vivre sans toi ! C’est seulement depuis quelques années que j’ai compris qu’elle est morte parce que je lui manquait à la maison. D’ailleurs, elle a longtemps dormi avec une copine à moi quand je n’étais pas là. Elle est morte de solitude et de l’incapacité de vivre pour elle. En plus, au dernier moment j’ai du donner permission au médecin de l’administrer une dose létale de morphine. Un peu lourd tout ça pour un jeune homme. 🤢

Ma mère était très aimée. Toujours avec des copines, toujours au téléphone, toujours en train d’aider quelqu’un ou de rire et raconter des blagues. J’aimais être avec elle. Tout le monde aimait être avec elle. J’adorais les samedi après-midi pluvieux quand personne venait dans la boutique où elle vendait des bijoux. Les voisins venaient remplir l’arrière boutique et c’était une blague après une autre, jusqu’à ne plus arriver à respire. C’était géant !!! Encore aujourd’hui j’en raconte de cette période… 🤡

Seulement sa maquillage et ses cigarette me horripilaient. Que ça sentais mauvais, berk… Puis, à l’époque le tabagisme passif n’était pas encore connu. Alors, je subissait en silence… Deux paquets par jours, au moins ! Mais, ça ne m’a pas empêché de l’aimer, car elle avait un coeur en or et tout le monde était de cet avis. 💛

Plus de 40 personnes étaient avec elle pendant plusieurs jours pour l’accompagner vers la fin. Une fin horrible où des cauchemars des camps de concentration faisaient encore plus surface que d’habitude. Je connaissais bien, j’ai grandi avec ça, le syndrome des camps de concentration. Les nuits elle se réveillait souvent en sueur et en hurlant « sie kommen mir holen » (ils viennent me chercher). Sur son lit de mort pendant qu’elle s’étouffait dans sa respiration, sa propre mère était tranquillement en train d’essayer les bagues de sa fille, une femme vraiment très dure ! Je ne lui ai pas adressé la parole pendant très longtemps. 😔

Après son décès, ma mère est revenue souvent dans ma vie. Dans mes rêves… dans des soins que je recevais… dans ceux que je donnait aussi où elle me guidait… à travers des Amies qui venaient parler ou donner quelque chose en son nom. Souvent déjà elle m’a demandé pardon. Il y a encore quelques jours en arrière que j’en ai encore reçu. Pardon de m’avoir castré, de m’avoir privé de mon père, de m’avoir gardé pour elle, de m’avoir menti pour éviter de me perdre. Bien évidemment je lui pardonne. Je l’ai déjà fait plusieurs fois depuis le temps. Ce soir je lui pardonne encore une fois, sachant qu’il n’y a rien à pardonner, car elle n’a rien fait de mal. Elle a juste fait de son mieux pour survivre ! 😍

Et je suis conscient, très conscient que c’est GRACE à tout ça, et grâce aussi à mon histoire avec mon père, mes maladies, mes malheurs, mes pertes… que je suis devenu l’homme que je suis aujourd’hui. Alors, OUI, je lui pardonne encore et encore… A elle, à mon père, à mes ex, à toutes les femmes, tous les hommes… ouf, au monde entier quoi !!! Oui mieux encore, MERCI MERCI MERCI… Car sans eux, sans vous, je ne vivrais pas la magie que la vie m’offre sur un plateau aujourd’hui… 🙏🏼 🙏🏼 🙏🏼 

Je pense que je suis ici donc aussi pour laisser partir ma mère. Demain, Amma part… Je vais en profiter pour ritualiser cela pour moi d’une manière très simple. Son départ… mon sevrage… ma libération… Avec tout mon Amour pour ma mère, pour Amma aussi… Ca commence ce soir pour moi, puisque c’est ainsi que je le sens. Amma va faire des dosas (dosjas, des galettes servi souvent avec des céréales et un peu de légumes) pour tout le monde. Je suis déjà là, assis dans la salle avec mon ordi sur les genoux. Un papa avec son bébé dans ses bras juste à ma droite. 💻

Je n’ai jamais pu dire adieu à ma mère. Elle était déjà dans le coma quand je l’ai vu la dernière fois. Il y avait juste quelque chose dans notre dernière échange par téléphone qui aurait pu me permettre de comprendre qu’elle partait. Je lui ai dis « lèves-toi en bon santé » et elle m’a répondu « Omijn » (amen)…. Normalement, c’était elle qui disait la première phrase chaque soir avant de se quitter pour dormir et moi je répondais. C’étaient nos derniers mots. 🙏🏼 

Je vais vivre ce qui va suivre comme si c’était ce dernier repas que je n’ai jamais pu manger avec ma mère, lui disant à-dieu de cette manière. Espérant ainsi que nous soyons en paix, enfin. Un petit repas tout simple, en conscience. Que je mangerai avec le coeur… Ensuite viendra surement une période de sevrage. 🍼

Pas question que j’oublie cette femme extraordinaire. Oui, extraordinaire elle était. Elle n’a seulement pas eu la possibilité de découvrir ni d’exploiter son potentiel. Elle a passé sa vie à essayer de survivre tout simplement et elle est morte malgré son effort des séquelles de la guerre, même 34 ans après. 😔

Elle était chaleureuse, drôle, aimante, courageuse… C’est son histoire qui a fait d’elle une blessure béante ambulante. Une femme meurtrie qui trouvait seulement une raison de vivre à travers son fils. Pour le garder auprès d’elle est devenue, involontairement et inconsciemment bien évidemment, manipulatrice, omniprésente, exigeante… et s’est rendu ainsi indispensable. 🕸

Pas question que j’oublie cette femme. Je vais juste laisser partir la partie qui m’a emprisonné pendant si longtemps. Je reconnais immédiatement les femmes qui ont aujourd’hui un comportement semblable avec moi. Le scénario peut encore se présenter parfois. Je sens tout de suite l’inconfort. Je ne suis plus dupe… Je prend d’abord du recul, puis si ça persiste je passe mon chemin. 😅

Au revoir maman, au revoir Amma…Merci, merci, merci 💏

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Douce journée à tous, merci de m’avoir lu…  ❤️💛💚💙💜

 

20 commentaires sur « Adieu Maman »

  1. tu vas la laisser partir, en lui gardant une place, la plus douce, la plus chaude, au fond de ton coeur…
    c’était ta maman…
    Je t’embrasse

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  2. C’est d’une profondeur…..ouah!!!!! bravo d’avoir pu exprimer d’une façon aussi simple et en conscience ce ressentir qui tourne le ventre. Nul doute que plus d’une personne s’y retrouvera et pourra faire le deuil de choses et autre.
    Merci de permettre cette libération. Bonne journée et bon retour.

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  3. Très touchée par ton témoignage ce matin, tristesse,pleurs ont émergé a la fin de la lecture…
    Toute une partie de ma vie a essayé de me libérer de l’emprise de ma mère, que de temps et d’argent perdu…et en même temps c’est grâce a elle que je suis ce chemin vers la libération,la vie🎉 merci Maman💖
    Merci Mickael pour ces partages,👏👏👏 pour ce beau chemin que tu suis👣quel courage et confiance cela demande😇 bon dernier repas dans la paix du coeur 💙. de 💟 à 💟

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    1. Merci Nadine… il était très bon le dosha, surtout la glace que j’ai pris ensuite… Tendresse et peut-être à bientôt. Espère que tu as bien récupéré ? Bisous

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  4. Tu m’as bien fait pleurer ce matin. Vilain va ! 🙂
    Et si je pleure c’est que des mémoires émotionnelles se libèrent en te lisant.
    Je t’embrasse.

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  5. une bien belle histoire très intense et très formatrice !!! j’admire ton recul et je comprend que je dois moi aussi pardonner mais je n’y suis pas encore !!!

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